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L’industrie française : un atout à jouer

L’usine de production de Phyteurop est implantée depuis 1966 à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire). 90 personnes y sont actuellement employées en CDI.

Peu mise en avant, la production française de produits phytosanitaires est loin d’être anecdotique et fait valoir ses avantages dans un contexte mondial sous pression.

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Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, la production française de produits phytosanitaires est loin d’être anecdotique. Forte d’une place stratégique au cœur de l’agriculture européenne, lui permettant également un rayonnement mondial, les entreprises de protection des plantes y ont implanté depuis plusieurs décennies leurs sites de production. Et malgré les a priori, notamment face aux puissances industrielles asiatiques, l’industrie française a toute sa place en termes de compétitivité sur l’échiquier mondial. « Dire que la France n’est pas compétitive serait injuste. Certes, cela nous donne du fil à retordre mais l’industriel prend tout en compte, nous avons d’autres atouts à faire valoir », explique Raphaëlle Houssin, directrice des opérations de protection des cultures de Corteva Agriscience France. Et pour preuve, 90 % des produits phytos vendus par Corteva en France sont produits dans ses deux sites alsaciens, 85 % de la production de ces sites étant d’ailleurs exportée en Europe et dans le monde. « Nous avons un savoir-faire primordial et les exigences et réglementations françaises nous poussent à nous surpasser. Cela nous permet d’être avant-gardistes, de toujours avoir un coup d’avance, détaille Raphaëlle Houssin. La production française est gage de qualité, de fiabilité, mais aussi de respect de l’environnement, il faut expliquer ces spécificités au sein d’un groupe mondial. »

Réactivité et adaptabilité

L’industrie française a également fait de la réactivité son cheval de bataille pour répondre aux enjeux d’un marché sous pression. « Les commandes de dernière minute augmentent d’année en année, les clients n’ont plus de stocks, ce qui tend toute la supply chain. Nous nous devons d’être beaucoup plus réactifs vis-à-vis du client et de conditionner le plus rapidement possible les produits », explique Jean-Marc Pujo, directeur de l’usine conditionnement de Bayer, située dans l’Aisne. « Nous faisons face à des changements réglementaires très fréquents, personne n’a intérêt à avoir du stock, complète Corinne Vanthuyne, responsable département logistique de l’usine. On développe donc de la capacité instantanée pour adapter notre outil de production à ce nouvel environnement et on a également revu notre stratégie en matière d’étiquetage pour être en permanence en phase avec les évolutions réglementaires. » L’adaptation des outils de production est indispensable, ce que nous confirme Phyteurop, entreprise française qui se doit de répondre aux besoins de la distribution (lire p. 14). « L’objectif est de ne pas avoir une usine saturée, et donc d’avoir une organisation de production flexible. C’est pour cela que nous avons mis en place une nouvelle chaîne de formulations en 2018. Notre usine compte aujourd’hui 14 lignes de conditionnement et 10 lignes de formulation, ce qui nous permet de faire du sur-mesure », détaille Martin Dellamaggiore, directeur de l’usine de Phyteurop à Montreuil-Bellay (Maine-et-Loire). Cette adaptabilité est une force pour répondre aux besoins en nouveaux produits, notamment de biocontrôle. « On diversifie nos activités vers ce type de solutions car le marché baisse, mais il faut pouvoir s’adapter et adapter l’outil industriel. Nous avons la chance et la capacité de le faire avec cette usine », se félicite Martin Dellamaggiore.

Et cette année, l’industrie phytosanitaire française a aussi démontré sa résilience lors de la crise sanitaire du Covid-19. Si beaucoup craignaient des problèmes d’approvisionnement au début de la crise en mars dernier, les industriels ont su rassurer leurs clients et maintenir leur activité tout en faisant preuve de solidarité, notamment par la production de gel hydroalcoolique. « On a été très sollicité, il y a eu un emballement des demandes de notre réseau qui avaient des craintes pour les stocks. En temps normal, on conditionne 2 000 t de produits en avril, cette année on en a livré 4 000 t. On a su faire face à cette demande irrationnelle alors que l’Aisne a été particulièrement touchée », se félicite Corinne Vanthuyne. Cette résilience est confirmée par les autres industriels. « Nous n’avons pas eu de rupture de capacité », affirme Martin Dellamaggiore. D’autres ont même servi d’exemples à l’échelle mondiale. « Les protocoles que nous avons mis en place ont été repris par le groupe, explique Raphaëlle Houssin. Notre gros site est aux portes de Mulhouse, là où tout a commencé. Nous avons tout de suite pris très au sérieux la pandémie et mis en place un protocole strictement respecté par nos salariés habitués à suivre ce type de procédure, la prévention des risques étant très poussée dans le monde la chimie. »

Un équilibre menacé

Bien qu’aucun problème n’ait été à déplorer, cette crise a mis en avant des questionnements autour de l’approvisionnement en matières premières provenant de l’étranger. « Avant de parler de relocalisation, il est important de garder le capital innovation, recherche et production que nous avons, analyse Eugénia Pommaret, directrice générale de l’UIPP. Notre activité se fait sur le long terme, le développement, l’homologation et la mise sur le marché, tout cela peut prendre plusieurs années. Nous avons donc besoin de prévisibilité sur le réglementaire mais aussi le fiscal, pour permettre aux entreprises d’investir en France. Nous ne devons pas avoir une épée de Damoclès en permanence au dessus nos têtes. »

L’une de ces menaces est le fameux article 83 de la loi EGalim comprenant l’interdiction en France de production, stockage et exportation de produits non autorisés en Europe. Finalement validée par le Conseil constitutionnel le 31 janvier 2020, cette interdiction sera effective au 1er janvier 2022. « La France est le seul pays européen à se priver de produire et d’exporter des produits chimiques et donc à ne pas respecter le règlement communautaire Pic, encadrant la production de produits chimiques destinés à l’export, fustige Eugénia Pommaret. Cela met en péril l’équilibre de nos sites. » 2 700 des 5 500 emplois que compte l’industrie seraient ainsi menacés, selon l’UIPP. « Ce n’est pas normal que l’on soit écarté pour des appels d’offres par rapport à nos concurrents », déplore Martin Dellamaggiore, la production pour des tiers étant le deuxième pilier de fonctionnement de l’entreprise. Mais s’il est encore difficile pour les entreprises de mesurer et de chiffrer les impacts de cette loi, elles réfléchissent d’ores et déjà à la façon de compenser ces pertes, comme nous l’explique Jean-Marc Pujo : « Pour essayer de contrecarrer les volumes perdus, on se tourne vers le biocontrôle, mais on sait très bien qu’on ne pourra pas tout remplacer et compenser. » De quoi fragiliser l’industrie française ? Espérons que non.

- En 2019, Corteva Agriscience a investi 20 M€ dans son usine de Cernay pour une nouvelle unité de formulation et de conditionnement dédiée à sa gamme de solutions d’origine naturelle Inatreq active .

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